Les femmes Boisboissel dans la
Résistance
Tiphaine Mac Donald Lucas, née Boisboissel | Suzanne Hugounenq, née Legrand |
1884-1965
|
1913-1982 |
Ces deux femmes recurent les décorations suivantes: Officier de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre 39-45, Medal of Freedom, Médaille de la Résistance
(Tiphaine fut également Officier de l'ordre du Mérite Agricole)
Dans
la
continuité des hauts faits d’armes que la famille de Boisboissel a
réalisés
durant sa longue histoire depuis le moyen-âge en Bretagne et en France,
il convient de montrer l’exemplarité de ses membres lors de la seconde
guerre
mondiale. Notamment les activités
de
résistance effectuées après la défaite de 1940 par les femmes
de cette
famille restées sur le sol français alors que les hommes en âge de
combattre
étaient tous partis au front. Peu disertes sur les évènements qu’elles
vécurent, comme nombre de personnes ayant vécu dans leur chair des
expériences
terribles, il convient ici de faire mémoire de leur héroïsme à travers
les
quelques témoignages que nous avons pu recueillir.
Cet article présentera plus particulièrement les faits de résistance et de déportation de quatre d’entre elles : Simone de Keranflec’h Kernezne, née Boisboissel, sa demi-sœur lady Tiphaine Mac Donald Lucas, née Boisboissel, et les deux filles de Tiphaine, Héliane et Suzanne Legrand.
Simone, la demi-sœur
du général
Yves de Boisboissel, née du premier mariage de son père Charles-Edmond
de
Boisboissel avec Louise-Marie Hamon de la Porte, reste quant à elle sur
la
terre bretonne familiale, au château du Quellenec, en
Saint-Gilles-du-Vieux-Marché, propriété de son mari Hervé-Charles de
Keranflec’h Kernezne, ancien député et sénateur des Côtes-du-Nord. Elle
porte
toujours dans son cœur une terrible épreuve, celle d’avoir perdu ses
deux
uniques fils à la première guerre mondiale, le sous-lieutenant
saint-cyrien
Alain le jour de ses vingt ans en 1915, et son autre fils le
sous-lieutenant
Pierre en 1918. Le frère de Simone, le sous-lieutenant Henri de
Boisboissel, fut
également tué durant ce terrible conflit à la bataille de Souchez-Vimy,
en
Artois, le 1er Octobre 1915.
Son autre sœur
Tiphaine reste
elle aussi en France, habitant la ville de Saint-Cloud. Elle a
également eu la
douleur de perdre son premier mari Franz Legrand, lieutenant de
vaisseau lors
de la bataille des Dardanelles sur le cuirassier Bouvet qui sauta sur
une mine
en 1915. Infirmière à la Croix Rouge, elle soigne les officiers blessés
britanniques et c’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Lord
Richard Mac
Donald Lucas avec lequel elle se remarie en 1917. Mais de nouveau le
destin les
frappe lorsque leur fils Edmond Jacky, né en 1920 et aspirant de marine
dans la
Royal Navy, est perdu en mer en 1940 sur le HMS Glasgow, également le
jour de
ses vingt ans. De son premier mariage, Tiphaine a eu deux filles,
Suzanne, dite
Suzon, qui vit avec elle à Paris et Héliane qui les quittera très
rapidement
pour rejoindre les Forces Françaises Libres en Angleterre.
Ces quatre femmes,
Tiphaine Mac
Donald Lucas, née Boisboissel, Suzanne Legrand, Héliane Legrand et
Simone de
Keranflec’h, née Boisboissel, furent des héroïnes de la Résistance dont
il
convient de saluer ici le grand courage et la force d’âme, elles qui
furent
parmi les premières à poursuivre la lutte après l’invasion de notre
pays. Cet
article veut honorer leur mémoire, et rappeler ce qu’elles ont fait au
péril de
leur vie pour participer à la libération de la France.
Héliane Bergé, née Legrand
Dès 1940, Héliane Legrand,
accompagnée d’une amie, quitte Paris juste avant l’arrivée des
Allemands, se
déplaçant en voiture en Normandie et en Bretagne en effectuant des
liaisons avec la 51ème Division des Highlands, ainsi que des
réfugiés de l'exode et d’autres clandestins jusqu'à l'arrivée de la
Wehrmacht.
Elles s'embarquent toutes les deux en mai ou juin 1940 sous le feu
ennemi, à la
dernière minute, avec des marins-pêcheurs depuis la Normandie car les
ports
bretons viennent d’être occupés, dans un des derniers bateaux
disponibles pour
gagner Plymouth en Grande Bretagne.
Héliane
est rattachée dès juillet 1940 au quartier général du général de
Gaulle, au 4 Carlton Gardens, où elle rencontrera son futur mari
Georges Bergé.
Elle devient membre du River Emergency Service, sous uniforme de la
Marine
anglaise en tant que membre d’équipage, son unité comprenant des
infirmières
stationnées sur la Tamise qui patrouillaient le fleuve durant la
bataille de
Londres pour assurer les premiers secours aux victimes se retrouvant à
flot ou
sur les berges. En octobre 1941, après la bataille d’Angleterre, elle
est transférée
au service de presse française de la BBC. Elle fera partie du
département de
propagande du général, comme traductrice interprète (sa mère
s’étant remariée avec un anglais, Héliane passait l’été en Angleterre
et maîtrisait
donc parfaitement cette langue). Après un stage de formation comme agent de
renseignement, elle sera envoyée en mission en octobre 1942 à
Saint-Pierre-et-Miquelon
par le comité National de Londres, officiellement comme chef de
service d’assistance
sociale, mais en réalité pour les services de renseignements en surveillant pendant un an les U-boat allemands
ayant survécu à la traversée de l'Atlantique Nord et qui venaient se
ravitailler en eau et vivres.
Héliane
Legrand épouse en 1941 un militaire
résistant de la première heure, Georges
Bergé, qui créa la première unité de parachutistes FFL (Forces
Françaises Libres) en septembre 1940, puis un noyau de résistance à Bayonne lors d'une
opération
en zone occupée en 1941, qui forma par la suite des agents de
"renseignement et d'action" en Angleterre, pour au final commander le
French Squadron sous les ordres du Major Stirling en janvier 1942.
Georges
Bergé sera finalement fait prisonnier près d’Héraklion en Crète, en
juin 1942,
après que son commando soit parvenu à détruire vingt-deux avions des
forces de
l’Axe lors d’une attaque d’une audace inouïe de la base aérienne
allemande. Georges
Bergé est le
parrain de la 38e promotion de l'École militaire interarmes (1998-2000).
La mère d’Héliane,
Lady Tiphaine
Mac Donald Lucas, décide durant la guerre de rester dans sa maison au 4
avenue
de Nancy à Saint-Cloud avec sa fille Suzanne Legrand. Elle y exerce une
activité d’assistance sociale et d’infirmière, activité qu’elle avait
déjà
pratiquée auprès des blessés de la première guerre mondiale au château
familial
du Pélem à Saint-Nicolas-du-Pélem. Mais elle n’accepte pas la défaite
française
et commence dès novembre 1940 ses premières activités de résistante en
envoyant
des premiers renseignements en Angleterre, ce qu’elle continuera à
faire
régulièrement jusqu’à son arrestation.
Lady Tiphaine Mac Donald Lucas et Cécile de Boisboissel, née
Dubois de
Gennes, épouse du frère de Tiphaine Yves de Boisboissel
De janvier à avril
1941, ces deux
femmes aident des prisonniers français évadés d’Allemagne et des
militaires
désireux ou obligés de passer en zone libre. Suzanne travaille comme
ambulancière à la Croix Rouge, ce qui lui sert de couverture pour ses
activités
de résistance, notamment pour faire transiter les militaires ou les
résistants.
En 1942, Tiphaine
transmet à
Londres des renseignements sur les sites importants en France et en
Allemagne
susceptibles d’être des objectifs de bombardement par les alliés. A ce
moment-là, elle n’avait pas d’adresse de destination précise pour ses
courriers
vers Londres et profitait de certaines occasions pour les faire passer,
parfois
via sa fille Héliane.
Elles faisaient
toutes deux
partie du réseau Comète, un
groupe de résistance fondé depuis juin 1941 par la Belge Andrée De
Jongh, son
père Frédéric et Arnold Deppé, dont le but était d’aider les soldats et
aviateurs alliés à retourner au Royaume-Uni. Les militaires étaient
cachés puis
recevaient de faux papiers d'identité. Ce réseau leur faisait ensuite
traverser
la France puis l'Espagne -pays neutre-, et les faisait enfin arriver à
Gibraltar, territoire anglais, d’où ils rejoignaient leurs unités.
Tiphaine et Suzanne
étaient un
des relais parisiens de ce réseau Comète, qui exfiltrait des
parachutistes ou
aviateurs anglais ou américains tombés au cours de missions de
bombardements,
essentiellement des aviateurs tombés en Bretagne, récupérés par la
demi-soeur
de Tiphaine, Simone de Kéranflec'h, en son château du Quellennec, et
qui les
faisait parvenir à Paris. Leur maison de Saint- Cloud servait de lieu
de
passage et de planque intermédiaire. Tiphaine, qui fut membre de la
Croix Rouge
durant la guerre, utilisa pour ce réseau le poste "Croix Rouge" de la
gare du Nord qu'elle dirigeait dans ses opérations.
En 1943, durant les
mois de
janvier, mars, mai, juin, octobre et novembre, elle héberge chez elle
des
officiers et des soldats pilotes américains tombés au cours de raids
sur la
France, comme par exemple le lieutenant Edward J Spevak et le sergent Allen
M
Fitzgerald après le 5 juin. Ces pilotes étaient ensuite munis de
fausses cartes
d’identité données par son « secteur de résistance » à un
guide qui
les amenait hors de France. Ce secteur était dirigé par M. Paul Aylé,
arrêté en
juin 1943 et fusillé, puis par Madame Elisabeth Barbier, arrêtée le 28
juin
1943. Après la disparition de ces deux personnes, les activités de
recherche et
de rapatriement de ces pilotes furent reprises par Tiphaine Mac Donald
Lucas
avec Mademoiselle Moyne, de Suresnes.
Durant cette année
1943 elle
transmet également, via Madame Adam, des renseignements à Londres sur
le
travail, la production, la position et la spécialisation des usines de
guerre
en Allemagne d’après les renseignements obtenus par les ouvriers de ces
usines
en permission qui transitaient par la gare du Nord.
A l’automne 1943,
elle participe
à l’organisation du service médical des corps francs dans la banlieue
de Saint-Cloud
Suresnes, qui consistait à rechercher des maisons possédant des
médicaments
et/ou des maisons où logeaient des infirmières afin de pouvoir y
soigner, le
cas échéant et discrètement, des combattants de la Résistance. Ce
travail de
recherche et de mise en relation fut interrompu par son arrestation. En
effet,
à la suite de l’hébergement de deux pilotes américains, Tiphaine est
arrêtée
dans la nuit du 1er au 2 novembre 1943. Sa fille Suzanne
dans un
geste admirable, décide de se dénoncer et de se constituer également
prisonnière afin d’aider sa mère. Elle était bien entendu impliquée
activement
dans les activités de résistance mais elle aurait eu la possibilité de
se
sauver lors de cette nuit, or elle fit le choix de risquer sa vie pour aider sa mère. Elle
avait
30 ans.
L’histoire retiendra
que c’est
sur dénonciation qu’elles furent arrêtées. Tiphaine avait en effet reçu
le jour
précédent des pilotes américains, ce qui avait fait un peu de bruit
remarqué
par le voisinage. Sa voisine infirmière vint alors le lendemain
s’enquérir de
ce qui se passait et lui proposer de l’aide. D’un naturel confiant,
Tiphaine
finit par lui expliquer ses activités… Cette même voisine, maîtresse
d’un
officier allemand, la dénonça le lendemain aux autorités d’occupation
allemandes.
Notons que Tiphaine
devait
recevoir le 8 novembre 1943 dans sa maison de Saint-Cloud un poste
émetteur
clandestin. Ce projet fut stoppé par son arrestation, dont la seule
conséquence
positive fut de sauver la vie de l’opérateur qui devait l’accompagner.
Fort heureusement la demi-sœur de Tiphaine, Simone de Keranflec’h, ne sera pas mise en cause, les autorités allemandes n’ayant pu faire le lien entre les activités des deux sœurs, lequel il est vrai n’était qu’indirect, via leurs activités de la Croix Rouge. Simone, décédée en 1968, sera décorée à titre posthume de la Légion d'honneur en 1973.
Simone de Keranflec'h Kernezne, née Boisboissel
Château du Quellennec, à Saint-Gilles-Vieux-Marché (22),
refuge des militaires américains et britanniques et relais d’exfiltration vers Paris via le réseau de résistance Comète,
organisé
localement par les sœurs Simone de Keranflec’h Kernezne et Tiphaine Mac
Donald Lucas, sœurs du général Yves de Boisboissel.
A l’issue de leur
arrestation,
Tiphaine Mac Donald Lucas et sa fille Suzanne Legrand furent
transférées à
Fresnes puis à Compiègne, puis déportées en Allemagne au camp de
Ravensbrück le
5 février 1944.
Le calvaire enduré
par Tiphaine
et sa fille Suzanne prend ici une dimension totalement inhumaine,
rejoignant
les récits les plus apocalyptiques relatés par les « survivants de
l’enfer concentrationnaire ». L’extrême dureté des conditions de
vie ne
fut que peu au regard de la souffrance morale causée par cette violence
humaine
déchainée contre elles et leurs camarades résistantes, ainsi que toutes
les
autres femmes qui les rejoignirent.
Tiphaine, née en
1884, avait 59
ans lors de son arrestation. Etant donné son âge, elle fit partie du
groupe des
« vieilles », et de ce fait fut affectée à des travaux en
rapport
avec sa force physique : elle rejoignit une équipe de réparation
de
vêtements de prisonniers où elle faisait dix heures par jour des
tricots ou du
raccommodage.
Suzanne faisait de
son côté
partie d’une équipe de peintres sur le camp de Ravensbrück. Elle put
ainsi
bénéficier d’un avantage totalement étrange dans le monde
concentrationnaire,
celui de bénéficier d’une loi s’appliquant à toute personne exerçant
cette
profession dans tout le troisième Reich : il leur était octroyé un
litre
de lait par jour, la loi considérant que les vapeurs toxiques des
peintures
nécessitaient un supplément nutritionnel de faveur. C’est ainsi qu’elle
put
partager avec sa mère et avec ses camarades malades, gorgée par gorgée,
ce
précieux apport alimentaire quotidien, ce qui les sauva de la famine.
Tiphaine eut le courage de
raconter cet enfer dans un texte paru en langue anglaise quelques
années après,
et que vous trouverez traduit sur ce site soous le lien: témoignage Ravensbrück. Son
témoignage
est absolument bouleversant. La cruauté humaine y côtoie un esprit de
solidarité et de communion formidable, montrant à quel point lorsque le
Mal se
déchaine, les ressources intérieures et spirituelles de l’homme lui
permettent
de se dépasser alors même qu’il apparait le plus vulnérable, le plus
dégradé ou
le plus rejeté.
Nous rajouterons ici
quelques
détails supplémentaires transmis par la fille de Suzanne Legrand,
Véronique
Triballeau. Tiphaine et Suzanne firent partie du très fameux convoi des
27000, en référence à la série de matricules qui leur
furent donnés au départ
du convoi qui les transportait au camp de Ravensbrück et qui
compta dans
ses rangs des déportées résistantes illustres qui firent l’honneur de
notre
pays après-guerre : nous y trouvons entre autres femmes
remarquables
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la nièce du Président Charles de Gaulle
qui
deviendra Présidente d’ATD Quart Monde, Germaine Tillion, ethnologue,
Charlotte
Gréco la sœur de Juliette Gréco, etc. Tiphaine se vit attribuer le
numéro
27468, et Suzanne le numéro 27455. Toutes portèrent les tristes
vêtements à rayures grises et bleues, avec sur
le bras une bande rouge
marquée d’un P pour « prisonnier politique ». La plupart n’en
revinrent malheureusement pas, soit environ 700 femmes sur les 980
initiales,
mortes pour la France sur le sol allemand.
Quotidiennement se
déroulaient à
l’extérieur des baraquements des rassemblements durant de une heure
jusqu’à
trois heures, quelles que soient les conditions météorologiques, le
froid
pouvant atteindre -27°, dans leur simple vêtement. Un matin, Tiphaine
vit une
de ses camarades tomber morte d’épuisement et de froid juste à ses
côtés. Elle n'avait pas le droit de la secourir sous peine de mort…
Début 1945, au moment où il devient évident que le régime nazi n’a plus
que
quelques jours à vivre, la discipline exercée par les gardiens de camp
devient
incontrôlée et encore plus brutale. Les déjà trop maigres rations
s’amenuisent.
Mais Suzanne avait
des qualités
de chef reconnues par ses camarades détenues à Ravensbrück, ainsi
qu’un esprit de décision et un courage moral qui ont soutenu nombre
d’entre
elles, leur permettant d’en sortir vivantes. Plusieurs exemples de son
engagement et de sa solidarité pour toutes nous sont parvenus, que nous
listerons ici. Elle sauva tout d’abord sa mère de la mort. Revenant un
soir du
travail, Suzanne aperçoit une colonne composée de femmes âgées rangées
par cinq,
face à son block, parmi lesquelles sa mère et la mère d’Elisabeth
Barbier, qui
se tenaient là, résignées. Suzanne décide alors d’user d’un stratagème
époustouflant de courage : au péril de sa vie, elle sort de sa
poche un
brassard rouge de policière qu’elle avait volé quelque part, et se
précipite vers
les deux prisonnières. Elle les malmène ouvertement et ne leur ménage
ni coups
ni insultes, utilisant le vocabulaire trop bien connu des gardiennes
S.S., puis
elle les sort des rangs. Elle parvient ainsi à les exfiltrer et à les
cacher
dans les bâtiments pour quelque temps, leur évitant ainsi de mourir
d’épuisement. Elle usa une seconde fois de ce stratagème pour sauver
une autre
amie, Christiane de Cuverville. Une troisième fois, elle se cache avec
certaines de ses camarades sous un matelas, durant tout un après-midi
de
sélection par les gardiennes, immobiles, sans même oser respirer, alors
que
tout le camp posait dehors, au milieu des hurlements et des chiens (Source : Lettre
de Madame Denise Mac Adam Clark, 1982, surnommée Bella).
Vers la fin février
1945, soudain
excédée et perdant patience, Suzanne décréta publiquement que les
Allemands
avaient perdu la guerre, que c’était fini pour eux etc., et ponctua ses
dires
par un « vive la France ! ». Le chef de la colonne qui
les
emmenait, une certaine Hilda, rédigea sur le champ un Meldung (document de demande de transfert au sein du camp) qui devait l’envoyer au Strafblock (block
disciplinaire qui est la prison du camp, toujours surpeuplée et où la promiscuité y
est
effroyable) ce qui lui ferait valoir a minima une volée de coups, et très probablement pire… Sans hésiter, elle alla
au bureau
de travail où les rapports étaient déposés. Il n’y avait personne dans
les
bureaux. Elle attendit quelques minutes puis voyant son document Meldung avec d’autres sur une pile, elle
attrapa le tout et jeta l’ensemble discrètement dans les toilettes
voisines. Le
résultat fut spectaculaire car les Allemandes, déçues de ne voir aucune
punition arriver, en conclurent que les Françaises de leur colonne
étaient
protégées en haut lieu, « pistonnées », et leur attitude
envers elles
changea complètement (Source : lettre
de Madame Denise Mac Adam Clark, 1982).
Puis vint la
libération. Une
rumeur se fit entendre le 1er avril 1945, indiquant qu’un
convoi de
la Croix Rouge, escorté par l’armée soviétique, viendrait les libérer
le
lendemain. Tiphaine ne le crut pas pensant à une mauvaise farce de 1er
avril. Mais le jour suivant, le jour même de Pâques !, arrivèrent
les
véhicules sanitaires tant rêvés : peut-on imaginer la joie de ces
femmes
sortant de l’enfer concentrationnaire ?
Elles furent
rapatriées en France
le 5 avril 1945. Comme premier contact avec le sol français, lors de
son
arrivée sur un brancard à la fameuse gare du Nord où elle avait servi,
Tiphaine
s’entend dire par un passant qui la croise : « celle-là, elle
n’en a
pas pour longtemps »… Heureusement, il se trompait, tant la force
de
volonté et de courage animait ces corps affaiblis.
Nous conclurons cet
article par
le témoignage de John W. Spence de Memphis (U.S), navigateur sur
bombardier
américain B 17, qui effectuait sa 8ème mission le 23 janvier
1943 en
emportant 12.000 « livres » de bombes lorsqu’il fut abattu par
l’artillerie anti-aérienne allemande au-dessus de la commune de Paule à
l’ouest
de Rostrenen, dans les Côtes du Nord. Sur les 10 hommes d’équipage, 1
fut tué,
5 furent faits prisonniers et 4 s’évadèrent, dont lui et son tireur le
sergent
Sidney Devers. Grâce à l’aide remarquablement coordonnée de
cultivateurs
faisant partie de la résistance locale, ces deux derniers seront
d’abord
recueillis quelques jours au château du Quellennec par Simone de
Keranflec’h,
puis exfiltrés sur Paris par train depuis Saint-Brieuc le 27 janvier et
enfin
accueillis au poste de la Croix Rouge à la gare du Nord par Tiphaine et
Suzanne, accompagnées de Miss Mac Carthy, irlandaise. Ils resteront à
Saint-Cloud du 27 janvier au 1er février puis seront ensuite
acheminés le 13 février par train vers Bayonne, en compagnie
d’officiers belges
évadés, avec consigne de descendre à Dax où le réseau les escortera une
fois de
plus vers l’Espagne en leur faisant passer un col de contrebandiers, et
en les
menant par étapes jusqu’à Pampelune en Espagne puis le 27 février à
l’ambassade
de Grande Bretagne à Madrid, d’où ils pourront rejoindre l’Angleterre
en
bateau. John finira la guerre comme instructeur, avec le grade de
capitaine.
En 1994, il vint
rendre visite
avec sa famille aux enfants de Suzanne Legrand, laquelle s'était mariée après la guerre
à M.
Roger Hugounenq, mais décédée depuis en février 1982. Au 4 avenue de
Nancy à
Saint-Cloud il rencontre Valérie Penel rejointe par sa sœur Véronique
Triballeau habitant Garches, toutes deux filles de Suzanne. Il fut
enchanté
d’être si bien accueilli et de pouvoir revivre chaleureusement ces
jours
dramatiques où il fut caché dans ces lieux. M. Bertrand Cuny maire de
Saint
Cloud put lui faire remettre à cette occasion la médaille de la ville
de
Saint-Cloud par le docteur Michel Valentin, président de Rhin et Danube.
Et voici le bel
hommage que John
W. Spence laissa à ces femmes de grand courage dans une lettre
datée du 25
juin 1994:
« I believe that Tiphaine Mac Donald Lucas
and Suzanne Legrand were among the bravest of French people, people who
never
accepted defeat, never bowed to tyranny, never ceased to hope to be
free
again ».
Au nom de la France, merci à elles !
Index: