La réhabilitation de Guillaume de Boisboessel par Sigismond Ropartz
Les textes ci dessous de Sigismond Ropartz sont tirés de son ouvrage "Guingamp, Etudes pour servir à l'histoire du Tiers état en Bretagne ", réédité Lafitte Reprints, Marseille 1982.
Réhabilitation historique
"Les Bénédictins ont déjà lavé Olivier de Coëtmen, que d'Argentré avait trop légèrement accusé de félonie, par mauvaise humeur sans doute de ne l'avoir pas trouvé à son poste quand Rohan assiégeait Guingamp. Je vais, je l'espère, rendre aujourd'hui le même service à Guillaume de Boisboessel, en prouvant que s'il ne fut pas un héros, il ne fut pas un traître.
Par contre, je cours grand risque d'assombrir un peu l'auréole dont tous les historiens bretons, après le sénéchal de Rennes, avaient amoureusement paré le front de Gouicquet et de Mérien Chéro (dizainier des bourgeois, l'équivalent de chef de la police municipale). En tout cas , et quelles qu'en puissent être les conséquences pour la mémoire des uns et des autres, je vais , pour la première fois opposer un récit contemporain (à l'évènement), qui n'est autre chose que la déposition même de dix témoins oculaires, judiciellement formulée, au récit de d'Argentré, écrit un siècle après l'événement, et, si l'on veut, à la ballade encore plus moderne que tout le monde a lue parmi les chants bretons de M. de La Villemarqué, dont une autre version avait été recueillie par M. de Fréminville dans ses Antiquités des Côtes du Nord, et que, pour mon compte, après M. F. de Courcy, je crois être relative, non au siège de 1489, mais bien au siège de 1591.
Une pièce contemporaine à l'évènement avec témoignages
La pièce dont je veux faire état, est une enquête, édifiée du 19 au 28 septembre 1492, sur les diverses circonstances du siège de Guingamp, par devant Jéhan de La Regnerays et Thomas le Haulever, commis à cette fin par la Chancellerie et Conseil du roi en Bretagne. Il est aisé de voir, par la direction que suivent les témoignages, que cette enquête fait partie d'une procédure nécessitée par le refus de quelques bourgeois de Guingamp de contribuer au remboursement des dix mille écus payés au vicomté de Rohan.
Les principaux motifs des récalcitrants étaient que la capitulation s'était faite absolument en dehors des bourgeois, qui n'avaient pas été consultés, qui n'avaient même pas été réunis à " son de campane " au lien ordinaire des délibérations municipales, la chapelle Saint Jacques, en l'église Notre Dame. En second lieu, que cette capitulation avait été de nul profit pour eux puisque les Français entrés dans la ville avaient tout mis au pillage comme dans une place prise d'assaut. J'allais oublier de dire que les témoins sont des mieux choisis pour être bien informés ce sont trois ou quatre hommes d'armes de la compagnie de Guillaume de Boisboessel; c'est le domestique de Mérien Chéro, dizainier des bourgeois, lequel domestique, nommé Thebault Trevault, remplaça son maître malade pendant toute la durée du siège, ce qui ne laisse pas de nuire un peu à la gloire de Chéro; ce sont deux prêtres, dont un vicaire de Notre Dame; c'est un serviteur du sénéchal de Guingamp; c'est, enfin, le procureur des bourgeois lui-même. Aucun de ces témoignages ne contredit les autres. (…)
La bataille
Depuis plusieurs jours, une semaine au moins on savait que l'armée Française marchait sur Guingamp pour en faire le siége, quand un dimanche du mois de janvier 1489, on put voir, de la motte du Château, une partie de l'armée royale rangée en bataille en une lande, assez près de la ville. Guillaume de Boisboessel, qui était lieutenant de la compagnie de gens de guerre d'Olivier de Coëtmen reçut de ce dernier, alors absent, une lettre par laquelle M. de Coëtmen commandait à la garnison, aux milices et aux bourgeois, de tenir bon et de résister aux attaques des Français, leur promettant du secours avant le mardi suivant. Boisboessel communiqua cette lettre aux gens de guerre de sa compagnie, à Jean de Boisgeslin, capitaine des francs-archers de Tréguier, aux gentilshommes de la campagne qui s'étaient réfugiés dans la ville, et aux bourgeois: tous, d'un commun accord, s'engagèrent à suivre les ordres du gouverneur. Le lundi malin, le siège commença M. de Rohan s'alla loger aux Cordeliers. Les Français donnèrent l'assaut, mais ils furent vigoureusement repoussés.
La demande d'une trêve par Guillaume de Boisboessel
Malgré ce succès, Boisboessel trouva les forces dont il pouvait disposer tellement inférieures, qu'il jugea urgent de traiter avec le vicomte de Rohan, d'autant que le bruit de la reddition de Morlaix venait d'arriver à Guingamp, et qu'il semblait que rien ne pût résister à l'armée royale. Boisboessel communiqua ces idées à quelques-uns de ses gens d'armes, et notamment à Jean de Boisgeslin, capitaine des francs-archers. Comme il trouva de l'écho, il parlementa du haut du rempart avec un vieux capitaine de l'armée française, et le pria de dire au vicomte de Rohan que la garnison demandait une trêve pour traiter des conditions d'une capitulation.
Les conditions de la reddition
La suspension d'armes fut immédiatement accordée; les hostilités cessèrent absolument, et il ne fut tiré ni un coup de canon, ni un trait, à partir de l'après-midi du lundi. Boisboessel descendit du château , et rassembla ses hommes d'armes et le capitaine des archers dans la nef de l'église Notre Dame: quelques habitants, entre autres le sénéchal, le procureur fiscal et le procureur des bourgeois, s'y trouvèrent aussi ; mais il ne leur fut attribué et ils ne prirent que le rôle de simples curieux Le lieutenant exposa aux gens de guerre sa pensée tout entière sur l'extrémité où ils étaient réduits; il leur dit la démarche qu'il avait tenté vis à vis du vicomte afin d'obtenir une suspension d'hostilités pour parlementer et il ne leur cacha pas que la réponse du vieil homme de guerre qui avait porté ses propositions, laissait penser que le général ennemi ne voulait point entendre parler d'autre composition pour la garnison que de se rendre à la merci du roi; il termina en demandant aux hommes d'armes ce qu'ils en pensaient. Vincent Le Seré et Jean de Boisgeslin, prenant la parole au nom des autres gens de guerre, déclarèrent qu'il était absolument impossible de se rendre à de telles conditions; que le plus qu'on pût faire était de consentir à perdre armes et bagages pour avoir la vie sauve, et Boisboessel fut chargé d'aller en personne trouver le vicomte, afin de dresser les articles de la capitulation sur ces bases. Boisboessel demanda un sauf-conduit aux Français, et sortant de la place par la poterne de TouI-Quelenic, il fit ainsi presque le tour des murailles pour aller trouver le vicomte, qui s'était logé aux Cordeliers. Il était alors deux ou trois heures de l'après-midi. Le lieutenant n'était escorté que de Bastien, son valet mais il était accompagné de maître Foulque de Rosmar, sénéchal, et d'Yves de Guerguezangor, procureur fiscal de la cour de Guingamp. Ils rencontrèrent en chemin Jéhan Loisel, Tugdual Perthevault, notables bourgeois, et Guillaurne Le Dyen, pour lors procureur des bourgeois, et Boisboessel leur donna ordre de le suivre et de sortir avec lui de la ville.
Lorsque Boisboessel revint il fut facile de voir qu'il n'avait pas eu bonne audience car, selon l'expression de Jean Banlost, l'un des témoins , " il faisait mauvaise chière. " En effet, le vicomte avait déclaré qu'il ne voulait entendre à aucune composition avec les gens de guerre de la garnison, sinon qu'ils se missent à la volonté du roi. La garnison, qui entourait le lieutenant, déclara d'une voix unanime, qu'elle ne consentirait jamais à une pareille soumission. Boisboessel retourna le mardi au camp des Français, et, vers le soir, le bruit se répandit dans la place qu'il avait si bien besogné, que le vicomte de Rohan avait fini par consentir à ce que les gens d'armes de la garnison sortissent de Guingamp un bâton à la main, ayant la vie sauve et perdant seulement leur " desferre "; mais on ajoutait que M. de Rohan exigeait en outre des habitants dix mille écus d'or, ou cinquante mille livres monnaie, pour avoir vie et biens saufs.
La révolte des Bourgeois aux conditions du traité de Guillaume de Boisboessel
Cette prétention parut exorbitante et les bourgeois poussèrent les hauts cris autant disaient-ils valaient l'assaut et le pillage et, en tous cas on n'aurait su trouver dans toutes les bourses de Guingamp une somme si énorme, quand même on aurait fait contribuer les nobles des environs, qui s 'étaient depuis la guerre réfugiés dans la ville. Le mercredi matin les nouvelles de la veille se confirmèrent tout à fait, et il n'y eut plus de doute possible quand on vit la compagnie du capitaine de Saint-Pierre entrer dans la courtine de la porte de Rennes, qui lui avait été ouverte. Or, Boisboessel seul avait les clefs de la ville, qu'on portait à sa chambre tous les soirs, et était chargé de la fermeture des portes; il exécutait donc, en ce qui le concernait personnellement, un traité négocié par lui la veille.
L'émotion des bourgeois était au comble. On les voyait réunis par groupes à tous les carrefours; la protestation était unanime: Qui donc s'était permis de traiter au nom du corps politique? est-ce que, depuis la trêve, on n'avait pas eu vingt fois le temps de réunir les notables, à son de campagne, à la manière accoutumée, dans la chapelle de Saint Jacques, en l'église Notre Dame, le seul lien où se pussent faire les assemblées et délibérations de la Communauté? Aussi, quelque fût l'impudent qui avait osé promettre à M. de Rohan, si quelqu'un l'avait fait, dix mille écus d'or ou cinquante mille livres monnaie, tous et chacun des bourgeois étaient bien résolus à ne pas exécuter ces engagements.
La monumentale erreur des bourgeois de Guingamp
Bref, on décida d'envoyer une députation aux Français, pour leur dire que les bourgeois ne consentaient pas à payer la rançon qui leur était demandée, ou qu'on avait promise pour eux sans leur aveu, et que M. de Rohan n'eût pas à y compter. Yvon Le Dantec, Tugdual Perthevault, Yvon Coatgoureden, Jehan Loisel, Yvon Jégou et quelques autres furent délégués. Ils se rendirent vers M. de Saint-Pierre, au boulevard de la porte de Rennes. Pauvres bourgeois !Lle capitaine , pour toute réponse, déclara aux ambassadeurs qu'il les gardait pour otages et comme sûreté des dix mille écus promis. Dans l'après-midi, vers trois heures environ vêpres, comme dit Lancelot Le Chevoyr, un des témoins, Boisboessel et toute sa troupe, un bâton à la main, sortirent de la ville par la porte de Rennes. Les Français y entrèrent tout aussitôt. L'occupation de Guingamp par les bandes du capitaine de Saint-Pierre fut un vrai brigandage. Les soldats se firent donner les clefs des caves et des greniers, des armoires et des huches; quand on ne trouvait pas la clef, ils brisaient la porte ou la serrure. Ils prirent tout ce qui était à leur convenance, ne payèrent rien de ce qu'ils consommèrent, et, quand ils partirent, ils emportèrent tout ce qu'ils purent. Les personnes n'avaient guère été mieux traitées que les choses, les Français s'étaient emparés des lits, et les pauvres bourgeois couchaient par terre; quand ils demandaient un peu de leur blé pour ne pas mourir de faim, on les refusait, et, devant eux on jetait le froment aux chevaux. Les soldats faisaient entre eux, dans les rues, de scandaleuses enchères du vin pillé dans les caves enfoncées, en gouaillant les propriétaires. Les chefs donnaient l'exemple. (…) Dom Pierre Olivier, né à Guingamp, raconte avec force détails le siège (…) : son témoignage, confirmé par plusieurs autres, indique que le séjour des Français et leurs brigandages n'avait pas coûté aux malheureux habitants de Guingamp moins de quinze mille écus.
Conclusion de Sigismond Ropartz
Qu'aurait-on fait de pis dans une ville prise d'assaut ? Cependant, le capitaine de Saint-Pierre faisait rentrer les dix mille écus du prétendu traité, en vertu duquel les Guingampais étaient censés assurés leurs personnes et leurs biens (…). Les principaux bourgeois, étaient traités comme des prisonniers dans leurs propres maisons jusqu'à ce qu'ils eussent payé la somme à laquelle il avait plu à je ne sais quel répartiteur de les taxer. On traitait de la même façon les étrangers, particulièrement les nobles qui étaient venus chercher un abri derrière les murailles de la ville (…)
Si l'on accorde à cette enquête que nous venons de résumer créance absolue, il importe de voir, en définitive, jusqu'à quel point le récit de d'Argentré c'est-à-dire le récit de tous les historiens bretons, est à modifier. L'enquête ne fait que prouver deux choses : le défaut de consentement des bourgeois à la capitulation, et l'inexécution par les Français eux-mêmes de la capitulation supposée. Quant à Boisboessel il est certain qu'il n'a pas trahi et qu'il n'a pas changé de drapeau. Par une conduite tout à fait dans les moeurs de ce siècle et dont on trouverait vingt exemples, il a sacrifié les bourgeois au salut de sa troupe; mais à aucun point de vue, excepté à celui de l'héroïsme militaire inspiré par un sentiment d'humanité et de charité, il n'avait à se préoccuper du sort des bourgeois, à la garde desquels il n'était pas commis. Je l'ai dit en commençant, il n'agit pas en héros, mais il ne fut pas traître, et on n'a point à se scandaliser de voir messire Guillaume de Boisboessel chevalier, recevoir de la reine Anne, à la maison de laquelle il est attaché, quatre aunes trois quarts de drap pour le deuil du feu roi Charles VIII (mort en 1498). "