Le récit de la prise de Guingamp en 1489 selon d'Argentré
Notons que ce récit fut écrit par d'Argentré en 1553, selon des détails conservés par la tradition orale.
Le siège et les combats.
" Le 9 janvier 1489, des éclaireurs, conduits par le capitaine de Saint-Pierre, le sénéchal de Toulouse et le seigneur de La Forest, furent envoyés par le vicomte de Rohan pour reconnaître Guingamp, et l'investir. Les jeunes gens de la ville, commandés par Gouicquet , repoussèrent cette avant-garde, et la forcèrent à rétrograder. Les Français prirent un détour, et, le lendemain , ils pénétrèrent dans les faubourgs de Montbareil et de Porz-Anquen, qu'ils brûlèrent.
Le vicomte de Rohan établit son quartier général à Sainte-Croix. Le siège ne commença que le 18 janvier, par l'attaque du fort de Saint-Léonard contre lequel fut dressée une batterie de trois longues couleuvrines. Gouicquet ne laissa pas à l'ennemi le temps d'en faire usage et une vigoureuse sortie, hacha les canonniers sur leurs pièces, et s'en serait emparé, si toute l'armée ne s'était portée en cet endroit. Devant des forces centuples, il se retira prudemment. Tandis que l'artillerie battait des murailles trop faibles pour résister longtemps, le vicomte fit ouvrir, au pied de la colline, une large et profonde tranchée qui devait couper toute communication entre le fort et Guingamp.
Gouicquet se voyant ainsi traqué, résolut de rentrer aussitôt dans la ville; les Français, qui devinèrent son dessein, se jetèrent en masse pour lui barrer le passage. Alors, le capitaine, excitant sa petite troupe du geste et de la voix , se précipite comme une avalanche du haut de la montagne, enfonce et culbute les rangs ennemis, incapables de résister à un pareil choc. Le sang-froid du chef breton égale son impétueux courage: il y soutient toute la nuit des attaques acharnées et incessantes , et, à la pointe du jour, il rentre a reculons dans Guingamp, laissant les assiégeants stupéfaits de tant d'habileté et de tant d'audace.
Rohan se hâta d'occuper le couvent des Jacobins et la maison des Cordeliers, que Gouicquet venait d'abandonner. Il plaça une partie de son artillerie sur le coteau de Montbareil, d'où il pouvait envoyer ses boulets au centre même de la ville, et mit le reste de ses canons en batterie dans le jardin des Jacobins, pour faire brèche aux murailles entre la porte de Rennes et la porte de Montbareil. Il y eut bientôt une trouée que l'on jugea assez large pour donner l'assaut. Les assiégés se disposèrent à le soutenir:
Gouicquet se posta en face même de la brèche et l'ennemi fut repoussé avec grande perte contraint de se retirer. Le lendemain, le vicomte fit reconnaître la brèche , et la trouva insuffisante; il transporta ses canons dans le jardin des Cordeliers, et fit battre si furieusement la ville pendant tout un jour, qu'il abattit tout un pan de muraille entre la porte de Montbareil et la porte de Tréguier. Le second assaut fut soutenu comme le premier mais Gouicquet fut blessé d'un coup de pique à la cuisse, et il fallut l'emporter. La nuit étant survenue, chacun resta à son poste.
La chute de la ville et le traité de Guillaume de Boisboessel
Comme il y avait dans les deux partis des Bretons qui se connaissaient, la conversation s'engagea entre les soldats qui étaient dans la tranchée et ceux qui gardaient les remparts. Ces pourparlers amenèrent une trêve, qui fut prolongée de quelques jours pour en référer à la duchesse. Mais, durant ce temps, l'or du vicomte jouait son rôle, et la désertion se mît dans la garnison. Rohan pressait et ne voulait pas de lenteurs.
Les Guingampais jugèrent qu'ils ne pouvaient résister plus longtemps, ils s'engagèrent à payer dix mille écus, à condition que l'armée française se retirât et à fournir des vivres et des munitions pour le siège de Concarneau que l'on projetait selon les ordres du roi. La ville avait éprouvé trop de pertes pour que l'on pût trouver les dix mille écus comptants: on convint de donner six otages.
Pendant que l'on dressait les articles de cette capitulation onéreuse mais honorable, le sire de Quintin négociait un autre traité: il s'était abouché avec un traître, ce Guillaume de Boisboessel dont Chéro s'était justement défié. Boisboessel ouvrit aux ennemis la barrière de Quenchi , dont il avait la garde; les compagnies de Pierre de Rohan n'eurent pas de peine à s'emparer de la ville, surprise à l'improviste, quand elle se reposait sur la foi des traités. Tout fut traîtreusement saccagé et livré au pillage: Chéro et les plus riches habitants furent faits prisonniers. Gouicquet, plus heureux, parvint a s'échapper, et se retira à La Roche-Derrien. Telle est l'histoire connue du siège de Guingamp. "