La prise de Guingamp en 1489

 

Les Français attaquent la Bretagne, et mettent le siège à Guingamp.

La fin de la guerre de Cent Ans (bataille de Castillon en 1453) marque pour la Bretagne l'émergence d'une politique de conquête de nouveaux territoires pour la France. En 1477, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne est vaincu et laisse la Bretagne seule face à Louis XI. Dès lors, de puissantes armées Françaises attaquent, en 1487 d'abord, puis en 1488 à Saint Aubin du Cormier, où les Bretons sont lourdement défaits devant un ennemi plus nombreux, mieux équipé et plus entraîné. De nombreux nobles bretons (Rohan qui a des vues personnelles sur le duché, d'Avaugour, etc) passent au roi. Enfin en 1489, Charles VIII déclare la guerre de nouveau à la Bretagne, après la mort du duc François II. La Bretagne est envahie, et les places fortes tombent les unes après les autres.

Guingamp est une place forte fortifiée par Pierre II, qui tient les clefs de la Basse Bretagne. Le vicomte de Rohan, lieutenant général du roi de France arrive début janvier 1489 devant la ville avec son armée.

Le lieutenant Guillaume de Boisbouessel, qui était ou sera maréchal des logis de la duchesse Anne, commandait à ce moment la garnison ducale de la place en l'absence de Olivier de Coëtmen. Il habitait place du centre au 48, une fort belle maison du XVème.

Citons ici Sigismond Ropartz dans son ouvrage "Guingamp, Etudes pour servir à l'histoire du Tiers état en Bretagne ", réédité Lafitte Reprints, Marseille 1982: "Le vicomte de Rohan chercha d'abord à séduire les habitants de Guingamp mais ceux-ci lui répondirent de manière à lui ôter l'envie de recommencer ses négociations. Guingamp en effet avait pris parti pour la cause bretonne, dans une ligue patriotique qui décora les derniers jours de la nationalité bretonne d'un incomparable éclat. Le 24 septembre 1488, la duchesse Anne de Bretagne encourage la ville à persévérer et à bien garder la ville. Mais la lettre des habitants de Guingamp, toute pleine de la plus fière ironie, avait profondément blessé le vicomte de Rohan ; il eut d'ailleurs été personnellement disposé au pardon, que son frère, Pierre de Rohan, sire de Quintin, ne le lui eût pas permis (Quintin avait été ravagé par les armées bretonnes qui avait pillé la ville deux fois et fait prisonniers un grand nombre de ses habitants). Cet esprit turbulent et rancunier avait à venger la double ruine de Quintin, et il aiguillonnait sans cesse l'ambition du vicomte. Mais ce ne fût qu'au mois de décembre que le sire de Rohan put prendre la campagne. Il mit en déroute, chemin faisant, quelques bandes dont les officiers trahirent leur drapeau. Il saccagea ensuite Pontrieux et Châteaulin sur Trieux, et y fit un butin considérable, en pillant les magasins qu'avaient en ce lieu les négociants Guingampais.

Le récit d'Argentré, récit attaquant Guillaume de Boisboessel

Le récit d'Argentré, est le texte historique qui fait référence pour les historiens bretons. Il est restitué dans le chapitre "le récit de la prise de Guingamp en 1489 selon d'Argentré"

Il nous apprend qu'après d'héroïques combats, notamment menés par Gouicquet et Chéro, "les murailles sont ouvertes et les Français envahissent une partie de la place. Le vicomte de Rohan plaça alors une partie de son artillerie sur le coteau de Montbareil, et mit le reste de ses canons en batterie dans le jardin des Jacobins, pour faire brèche aux murailles entre la porte de Rennes et la porte de Montbareil. Il y eut bientôt une trouée suffisante pour donner l'assaut.

La situation étant désespérée pour les Bretons, des discussions s'engagèrent et une trêve fut déclarée. Les Guingampais estimaient en effet qu'ils ne pouvaient résister plus longtemps et s'engagèrent à payer dix mille écus comme rançon. Mais selon d'Argentré, Boisboessel traita avec l'ennemi et leur ouvrit les portes de la ville, dont il avait la garde après cette accord. Et les compagnies du vicomte de Rohan n'eurent pas de peine à s'emparer de la ville, surprise à l'improviste, quand elle se reposait sur la foi des traités. Tout fut traîtreusement saccagé et livré au pillage "

La prise de Guingamp donna même lieu à une petite comptine, peu flatteuse pour ce Guillaume...

La rectification historique de Sigismond Ropartz et la réhabilitation de Guillaume de Boisboessel

Sigismond Ropartz, dans son ouvrage cité plus haut, prend la défense de Guillaume de Boisboissel, injustement accusé de félonie selon lui : L'ensemble est restitué dans le chapitre "La réhabilitation de Guillaume de Boisboessel par Sigismond Ropartz".

On y apprend que le récit de d'Argentré, est un récit écrit en 1553, 64 ans après les faits et d'après la tradition orale.

Sigismond Ropartz fait référence à une pièce historique, une enquête effectuée du 19 au 28 septembre 1492, sur les diverses circonstances du siège de Guingamp, par Jéhan de La Regnerays et Thomas le Haulever, commis à cette fin par la Chancellerie et le Conseil du roi en Bretagne. Les témoins de cette enquête ont une déposition cohérente qui indique que Guillaume de Boisboessel, après consultation de ses hommes d'armes, et trouvant que les forces bretonnes ne pouvaient résister, conclut une trêve par delà les murailles avec le camp français, et alla négocier les conditions d'une reddition avec le vicomte de Rohan lui-même. Les combats cessèrent à l'instant, et après plusieurs tractations, Guillaume de Boisboessel parvint à négocier un traité (oral probablement) indiquant qu'il n'y aurait aucun prisonnier, que la ville se rendrait, mais que les habitants devraient dix mille écus d'or, ou cinquante mille livres monnaie, pour avoir vie et biens saufs.

Cependant Guillaume de Boisboessel ne négocia pas avec les bourgeois en revenant: sans doute estima-t-il que son devoir de chef militaire était accompli, qu'il avait sauvé la vie d'un maximum de personnes, et que les discussions d'argent ne lui appartenaient plus désormais (il n'était qu'un chef militaire avant tout). C'est pour cela qu'il ouvrit les portes de la ville aux Français, et quitta Guingamp avec sa troupe, un bâton à la main comme stipulé dans le traité passé avec le vicomte de Rohan.

C'est alors que les bourgeois firent une monumentale erreur: ils estimaient que la somme était de loin trop énorme et envoyèrent une députation aux Français, pour leur dire que les bourgeois ne consentaient pas à payer la rançon qui leur était demandée, qu'on l'avait promise pour eux sans leur aveu, et que M. de Rohan n'eût pas à y compter! Ils le firent après le départ des soldats bretons, et de fait récoltèrent l'ire des Français: ceux-ci excédés les prirent en otage, et se mirent à piller toute la ville tant et si bien qu'il en coûta beaucoup plus à ses habitants que ne l'eut coûté l'application du traité de Guillaume de Boisboessel...

 

Le pillage de Guingamp, une erreur des bourgeois

Pour conclure, il semble que cet évènement historique ait été raconté par les bourgeois de la ville de Guingamp selon leur vision et leurs espoirs déçus. Mais à trop vouloir protéger son argent, on peut y perdre plus. Les bourgeois firent preuve d'une maladresse énorme en essayant de négocier sur la valeur de la rançon, alors même que la ville était investie par les Français. Certes ceux-ci ne firent pas dans la dentelle une fois dans la place, mais à qui la faute? Les bourgeois, hommes de commerce et non de guerre, face à des Français aguerris par de multiples campagnes, ne comprirent pas qu'on ne négocie pas de la même façon avec une armée victorieuse qu'avec un commerçant ou un vilain dans une foire...

Quant à Guillaume de Boisboessel, s'il ne fut pas un héros à cette occasion (bien qu'il s'illustra par la suite dans les guerres d'Italie avec Chaumond d'Amboise de 1509 à 1511), il fut un chef de guerre réaliste qui sauva la vie de nombreux hommes tout en préservant son armée. Ce fut le non-respect de son traité qui coûta fort cher aux habitants de la ville, peu au fait des réalités militaires...

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